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Risques psychosociaux : quand le travail rend "out"

jeudi 5 septembre 2024, par Xena

Un nouveau grand fléau social – et donc économique – a trouvé place dans votre vocabulaire et votre quotidien professionnel : le burn-out. Il n’est plus aucune discussion sur le travail qui ne tourne autour ou ne s’achève par cette dimension : « c’est un burn-out, j’suis sûr ! »

Waouh... Ça y est, on est tous médecins ? Bah, non, ça se saurait. Alors je consacre ce petit article de ma nouvelle série sur la santé au travail à redéfinir les contours de ce fameux "burn-out" mais également de celui de ses deux acolytes tout aussi fréquents dans nos établissements que sont le "bore-out" et le "brown-out" afin que vous puissiez mieux guider vos agents à aller, ou non, voir un spécialiste avec un vrai doctorat de médecine, lui.

Commençons par un autre mot en "out", un "coming out". Moi, Xena connue pour être une intrépide guerrière, j’ai été terrassée par un burn-out et je peux honnêtement dire que c’est un véritable enfer qui laisse des traces.

L’autre chose que je sais, c’est qu’en tant qu’ancienne victime de ce mal du siècle, j’avoue être horripilée. Je le suis tout autant par les gens qui s’auto-diagnostiquent à la moindre fatigue passagère, que par l’absence de réaction managériale lorsqu’un agent est dans une situation pathologique évidente et ne se contentera plus d’une petite claque dans le dos pour se remotiver.

Ce ne sont pas des maladies en soi, mais un cumul de pathologies : dorsalgies, migraines, boulimie, anorexie, dépression, anxiété. C’est parce que les b*-out peuvent nous anéantir de tant de façons qu’ils sont si difficiles à détecter.

Ensuite, si ces trois termes sont attachés aux risques psychosociaux, c’est évidemment que le contexte professionnel joue un très grand rôle dans le développement de ces troubles tout à la fois psychiques et somatiques. Donc, plutôt que de passer du temps à décrire des symptômes, qui encore une fois sont du ressort d’un médecin, c’est plutôt le contexte que je vais vous décrire.

Nombre d’entre vous vont reconnaitre, plutôt de près que de loin, les environnements dans lesquels ils évoluent professionnellement. C’est tout à fait normal : le poste de secrétaire général d’EPLE est un poste éminemment exposé aux risques psychosociaux, directement, ou pour les agents administratifs et techniques qui gravitent autour de nous.

Le burn-out

C’est à la fois un phénomène à part et un terme ombrelle qui regroupe les deux autres formes de mal-être expliquées ci-après. On parle en français « d’épuisement professionnel », ce qui n’est pas parfaitement précis.

Pour faire un parallèle imagé, il intervient lorsqu’on a brûlé la chandelle par les deux bouts. Il est par nature lié à la surintensité mise dans ses activités, son engagement professionnel, qui sans trouver l’efficacité qu’on en voudrait, conduit tout à la fois à se sentir mal, physiquement et émotionnellement. On ne croit plus en ce que l’on fait, et finalement l’on n’est plus en mesure d’être performant, voire d’agir tout court.

Si en 2012, l’Institut de veille sanitaire déterminait que la souffrance psychique liée au travail concerne 3,1 % des femmes et 1,4 % des hommes vus par le médecin du travail, dont 7 % correspondait au syndrome de burn-out, ces chiffres ont beaucoup progressé après la crise sanitaire. D’après un sondage d’OpinionWay de 2022, 32 % des salariés seraient en burn-out dont 12 % en burn-out sévère, soit 2,5 millions de personnes.

Parmi tous les facteurs qui peuvent mener au burn-out, pratiquement tout le monde s’accorde sur les six grandes catégories suivantes.

1- La charge de travail. Le surmenage, c’est la cause n°1. Attention : surmenage ne veut pas dire surcharge de travail. Se surmener, c’est essentiellement être incapable de se ménager. Il est également souvent lié à des pertes de temps au travail, qui n’ont rien à voir avec travailler : les réunions idiotes et stériles, les restitutions ou enquêtes fastidieuses que personne ne lira jamais, contribuent à ce surmenage.

Ce sont les deux axes de réflexion pour nous-mêmes, secrétaires généraux d’EPLE, mais également pour nos personnels. À titre d’exemple, je pense avoir été à l’origine du burn-out d’une de mes collègues (je n’étais certainement pas la seule cause mais j’ai déclenché la dernière étape du processus), non pas en lui en demandant trop mais parce que j’avais suscité chez elle, par la reconnaissance que je lui accordais et qu’elle n’avait pas eu auparavant, l’envie de bouffer le monde et de prendre ses missions à bras le corps... Trop fort, trop intensément, trop vite, sans doute. Apprenez à dire non, enseignez à dire non, au besoin à vos propres attentes.

2- Le manque d’autonomie. Cette situation arrive lorsque les agents se sentent fliqués ou dévalorisés dans leurs compétences par un contrôle excessif de leur travail.

Dans les agences comptables, il est fréquent que l’agent comptable, du fait de sa responsabilité personnelle sur les erreurs qui peuvent se produire, recontrôle les mandatements ou les OR dans leur intégralité, alors que le référent a déjà fait le job. Pour peu qu’il y mette un certain temps pendant lequel le référent est sur une forme de sellette, cette attitude relève de « l’excès de contrôle ».

A contrario et pour illustrer mon propos : j’ai arrêté de contrôler les mandatements que mon adjointe produisait dès sa deuxième année d’activité. J’avais pris la première année à la former, à mes exigences et à celles du comptable, à lui expliquer le plan comptable etc. Je n’intervenais plus alors que lorsqu’elle me disait qu’elle doutait pour telle ou telle opération, qu’elle avait besoin de mon avis ou de mon appui. Ce n’était jamais mon contrôle dont elle avait besoin. Je n’ai pas eu plus de rejets que les années précédentes, plutôt moins et plutôt de moins en moins. Encadrants, lâchez du lest, et concentrez vous sur le dialogue.

3- L’absence de reconnaissance. Lorsque la réponse à un manque de reconnaissance au travail est purement financière, elle a peu de chance de fonctionner même lorsque ce sont les représentants des agents qui le demandent. Je prendrai pour exemple la dernière réforme de la voie pro, avec la revalorisation du traitement des enseignants sous forme de la possibilité de trois pactes au lieu d’un. Est-ce que les PLP se sentent mieux ? Mieux reconnus ? Ce n’est pas ce qui ressort. La reconnaissance ne vient pas que de la reconnaissance – financière ou autre – du travail. Elle vient de la reconnaissance de la personne avant tout.

4- L’absence de relations entre collègues. C’est la troisième brique de la hiérarchie [1] des besoins chez Maslow, indispensable à notre équilibre et notre bien-être. Dans un monde urbanisé et accéléré, c’est souvent la sphère du travail qui nous permet de satisfaire quotidiennement ce besoin.

La hiérarchie de Maslow + besoin d'éternité
Maslow, une fois qu’on s’est débarrassé de la forme pour s’intéresser au fond.
semioscope.free.fr

5- Le manque d’équité. Il apparaît sous des formes parfois larvées et insidieuses, mais il existe dans toutes les structures, même lorsque nous sommes vigilants. Il prend les formes suivantes :

  • les préjugés, les plus faciles à combattre car ils sont identifiables, mais qui ont la dent dure
  • le favoritisme dont on peut ou non être conscient. À titre d’exemple, nombre de SG se plaignent que le chef d’établissement privilégie les relations avec son perdir adjoint, alors que nous sommes tout autant que lui membre de l’équipe de direction et adjoint au chef d’établissement. C’est un sentiment de manque d’équité lié au favoritisme ;
  • la rémunération, car même dans la fonction publique et malgré le système des barèmes, c’est un enjeu majeur. En effet, il n’y a pas de méritocratie dans notre système : un agent très travailleur aura le même traitement à échelon égal qu’un agent qui se contente d’être présent à son poste.
  • une politique d’entreprise inéquitable, etc. Chez les agents techniques, la refonte des quatre grades en trois a basculé vers le principalat, et les échelons salariaux correspondants, un certain nombre de gens qui ne prennent aucune forme d’initiative. Sont restés sur le carreau des collègues qui avaient passé les concours du principalat, et qui s’engageaient dans des fonctions plus exigeantes. Goût amer, sentiment d’injustice : suffisamment pour en démotiver un grand nombre. Autre exemple : distribuer des pactes à gogo a eu un effet désastreux sur le moral et l’engagement des chefs d’établissement, avec des enseignants parfois débutants qui finissaient par gagner davantage qu’eux.

6- Inadéquation des valeurs. Je n’ai pas besoin d’expliquer. Nous l’avons tous ressentie à un moment de notre carrière, surtout chez nous où la notion de loyauté est institutionnalisée. Rester fidèle à l’article L111-1 du code de l’Éducation est ce qui me fait tenir dans ces cas-là.

Le bore-out

Si le burn-out provient d’avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, le bore-out s’apparente davantage au fait d’avoir « peigné la girafe ». J’explique : lorsque vous n’avez plus grand-chose à faire au travail ou des choses infiniment inutiles, que vous ne vous sentez plus du tout investi et que vous vous ennuyez comme un rat mort… C’est plus fréquent qu’on ne pense dans la fonction publique, notamment dans les administrations connaissant une faible rotation des personnels, ou pratiquant la promotion des agents sans mobilité. La surcompétence d’un agent sur une mission qui ne lui convient plus du tout en termes de défis notamment intellectuels est source de bore-out.

Encore une fois, comme le burn-out n’est pas seulement une grosse fatigue, le bore-out n’est pas seulement une vague intense d’un ennui profond. Les indicateurs sont toujours multiples, les plus fréquents étant :

  1. un ennui constant et prolongé au travail, même lorsque vous ne manquez pas de travail ;
  2. une perte de motivation et de plaisir à travailler ;
  3. une baisse de la concentration et de la productivité ;
  4. une tendance anormale à procrastiner et à remettre les tâches les plus simples à plus tard
  5. une sensation d’isolement social au travail et un manque d’interaction avec ses collègues ou ses superviseurs ;
  6. un sentiment d’inutilité ou d’inefficacité, associé à une grande culpabilité et à une faible estime de soi ;
  7. un état de stress, voire de dépression - et tous les symptômes qui s’ensuivent, tels que des troubles du sommeil, des troubles digestifs, une anxiété, une grande fatigue ou une irritabilité ;
  8. un absentéisme accru ou une tendance à arriver en retard ou à partir plus tôt que d’habitude.

À titre d’exemple, quand j’ai réalisé sur mon dernier poste, que j’occupais depuis six ans, que je cochais déjà cinq cases, et que les deux autres me tendaient les bras, j’ai cliqué très vite sur Choisir le service public pour aller voir ailleurs si j’y suis... mieux. La réponse n’est pas forcément médicale, lorsqu’il n’est pas trop tard. Il faut juste avoir le temps de rebondir. Mais pour cela, il faut être conscient de son état, ce qui est rarement le cas.

Le brown-out

Très officiellement, cette expression viendrait du domaine électrique, car c’est ainsi que l’on décrit les variations de la tension électrique en la perfide Albion. Littéralement, cela tendrait donc vers une sorte de manque d’énergie. Moi je suis persuadée, que le brun, dans l’histoire, est très exactement ce à quoi vous pensez : le brown-out intervient quand on a un job de merde [2], pas parce qu’il est compliqué ou intense, pas parce qu’au contraire il est trop dilué et ennuyeux, mais juste parce qu’il n’a absolument aucun sens. L’anthropologue David Graeber catégorise ces « bullshit jobs » en cinq familles :

  • le larbin qui sert de faire-valoir à son ou ses supérieurs hiérarchiques
  • le porte-flingue recruté par réaction à une situation existant ailleurs, sans qu’aucune dimension n’ait été donnée à sa mission dans la structure en question
  • le rafistoleur qui résout des problèmes qui n’auraient jamais dû avoir lieu
  • le cocheur de cases qui permet à une organisation de prétendre qu’elle traite un problème qu’elle n’a aucune intention de résoudre
  • le petit chef qui doit encadrer des personnes déjà parfaitement autonomes

En lisant ça, moi, j’ai déjà coché trois cases dans mon travail de secrétaire général d’EPLE, voire quatre. En fait, à part le porte-flingue, qui ressemble vaguement au référent du bureau des entreprises, je me suis reconnue dans à peu près tout. Et vous ?

Au delà de cette vision très engagée de Graeber, qui est resté toute sa vie bien trop courte le plus assumé des anars, il s’agit simplement d’une perte de sens total du travail, telle que décrite par François Bauman. Actuellement, plus d’un Français sur deux considère que le sens de ses missions au travail s’est dégradé.

Contrairement au burn-out ou au bore-out, qui vont très vite avoir des conséquences somatiques, le brown-out lui n’empêche pas d’être "in" – alerte physiquement du moins – , mais son désengagement est marquant : absentéisme, dédain à faire les tâches demandées, à participer aux actions collectives à commencer par les réunions, etc. Cela ne veut néanmoins pas dire que le brown-out n’a aucun impact sur la santé mentale. Au contraire, c’est tellement latent que c’est presque indétectable, et c’est pourquoi il peut être amené à faire davantage de dégâts à terme que les deux autres formes.

Voilà pour ce tour d’horizon non pas clinique mais managérial. On a du pain sur la planche, chers collègues...


Voir en ligne : Le syndrome d’épuisement professionnel ou burnout - Mieux comprendre pour mieux agir (Ministère des Affaires sociales)


Pour tous ceux qui sont passionnés par les questions de motivation au travail et de QVT, je vous conseille les ouvrages des quelques auteurs que j’ai cités dans cet article. Je recommande notamment David Graeber, fondateur du Musée du soin, pour que nous prenions soin les uns des autres en interagissant comme des humains dans cette société où l’avancée technologique n’a d’égal que son cynisme. À lire aussi, le Dr François Bauman, qui a décrit dans plusieurs ouvrages les trois phénomènes évoqués dans l’article.


[1Je fais un ex-cursus nécessaire sur le pauvre Maslow qui est maltraité depuis si longtemps. En effet, Maslow a hiérarchisé les besoins des êtres humains, hiérarchie qui s’applique à chaque seconde de nos vies, dans leur totalité. Il ne s’agit aucunement d’une pyramide à connotation de classes sociales. Un riche avec une très forte envie pressante sera totalement démuni pour s’acheter "la même montre Rolex que son voisin", tant qu’il n’aura pas trouver les toilettes des galeries Farfouillettes. Ce n’est pas sa priorité à ce moment-là. À l’inverse, un pauvre rassasié, accompagné de gens qui l’aiment, qui a des amis et des modèles, peut aller gagner un match de rugby contre un Top 14 dans son équipe de Nationale 3. Maslow, c’est ça et rien d’autre.

[2Traduction mot pour mot de l’expression éponyme de son ouvrage, utilisée par Graeber. C’est pas moi, hein !

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