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Gestionnaire : ne sois pas parfait... vise juste l’excellence !

mercredi 8 novembre 2023, par Xena

J’entends et je lis beaucoup trop d’histoires de collègues à bout, proches du syndrome d’épuisement, proches très certainement de toutes sortes de pathologies psychiques aberrantes liées à leur travail. L’arrivée d’Op@le et la loi 3DS n’ont rien arrangé. Les cas se multiplient : malaise, mal-être, abandon de la profession.

Je me suis donc interrogée sur les raisons de cette situation. Ce n’est que rarement l’institution qui l’exige, ce n’est pas nécessairement le chef d’établissement ni les profs. Souvent, malheureusement, il faut faire avec la pression que chaque gestionnaire a tendance à se mettre tout seul sur les épaules. Et tout ça à cause d’un driver psychologique très ennuyeux qui nous pourrit l’esprit : sois parfait.

Et comme j’étais une gestionnaire sois parfait il n’y a pas si longtemps, je vais aussi tenter de vous expliquer comment le sortir, non pas de votre vie, mais de vos obsessions... Abandonnez la perfection, visez l’excellence.

Les symptômes du sois parfait

Si j’étais médecin, j’appellerais en effet ça des symptômes. Si j’étais sociologue, peut-être y verrais-je davantage des stéréotypes. Quoi qu’il en soit, le manager sois parfait [1] présente un certain nombre de constantes dans ses habitudes. Par exemple :

  • Après avoir imprimé un courrier, préférez-vous corriger le "s" qui manque au traitement de texte et réimprimer que prendre un stylo noir pour l’ajouter ?
  • Avez-vous déjà fait plus de dix simulations avant de lancer une constatation des frais scolaires sous GFE ?
  • Faites-vous une décision budgétaire modificative pour corriger toutes vos lignes budgétaires en fin d’année, si elles présentent un déficit ou un surplus ?
  • Vivez-vous très mal le fait qu’un acte administratif de votre établissement ait reçu une observation de la part du contrôle de légalité ?
  • Êtes-vous toujours à l’heure à une réunion ?
  • Vivez-vous très mal qu’une réunion ne démarre pas à l’heure ?
  • Ne vous sentez vous à l’aise dans une mission que lorsque vous avez la fiche de procédure correspondante ?
  • Demandez-vous toujours un temps de réflexion pour donner votre réponse quand on vous propose quelque chose d’intéressant mais qui sort des sentiers battus ?
  • Avez-vous besoin de prendre conseil ou vous informer dès que vous avez une décision à prendre ?
  • Avez-vous du mal à déléguer vos missions ?
  • Trouvez-vous toujours à redire ou refaire sur les missions que vous avez déléguées ?

Je n’ai mis que dix exemples du quotidien des secrétaires généraux d’EPLE... Mais si vous avez répondu au moins cinq fois oui, vous avez un driver sois parfait bien bien marqué. Peut-être pas dominant (il ne l’est pas chez moi), mais il peut néanmoins vous affecter.

Les drivers : un construit de l’analyse transactionnelle

Je ne suis toujours pas médecin, mais néanmoins, comme je fais du management depuis le milieu des années 80, j’ai bien tout lu le psychiatre Eric Berne, le père de l’analyse transactionnelle. Si je schématise à l’extrême, l’analyse transactionnelle repose sur le fait qu’en tant qu’être humain social, nous ne traverserons que trois étapes dans nos vies [2] : nous commençons enfant, nous devenons adulte puis parent, peut-être au sens biologique mais peut-être aussi au sens expérienciel, comme un maître, un parrain ou une référence. À partir de cela, toutes nos interactions sociales et notre communication (nos transactions) s’établiront dans un de ces rôles : l’enfant qui réclame/reçoit des injonctions, le parent qui émet ces injonctions, l’adulte qui n’a besoin ni d’en émettre ni d’en recevoir.

Nous y voilà ! Le driver, c’est l’injonction entendue dans votre enfance (ou plus tard) et qui a laissé des marques indélébiles dans votre comportement. Il en existe cinq et je vous les ferai découvrir en conclusion, mais celui qui nous intéresse c’est le sois parfait. Rappelez-vous :

  • Dix-huit, c’est bien mais pourquoi tu as perdu deux points ?
  • Et si tu faisais comme Machin, il est toujours premier en français...
  • Je veux bien que tu fasses du basket, mais si tu commences, c’est pour le faire à fond...

Regroupées, ces injonctions font peur, non ? Moi, je pense immédiatement au livre On achève bien les chevaux. Et pourtant, nous continuons, adultes, à suivre ces schémas sans même y penser.

Driver = motivation, et ça c’est très bien

Même si j’ai utilisé le terme injonction, même si j’ai parlé de symptômes comme s’il s’agissait d’une maladie, la notion de driver, c’est aussi celle du moteur et donc de la motivation.

Il n’y a donc rien de mal à rechercher à toujours faire mieux, à viser la qualité, à vouloir faire les choses bien. C’est même souvent ce qu’on recherche chez un collaborateur, alors pourquoi pas chez nous aussi ? Un sois parfait est tout ça à la fois : très travailleur·euse, capable de se transcender pour arriver à des résultats impressionnants, doué·e pour organiser, soucieux·se du détail pour envisager tout un univers de possibles dans chaque situation. C’est franchement quelqu’un, sous cet angle, à qui l’on a envie de ressembler.

Et c’est aussi pour cela que cette motivation peut nous faire autant de mal... Parce que qui dit injonction, dit également sanction, et là commence le dilemme :

Sois parfait, sinon on verra que tu es un imposteur...

Eh ouais ! (Eh non, ne me dites pas que vous n’avez jamais pensé ça !)

Alors, pour échapper à la sanction, il n’existe que deux stratégies :

  • Procrastiner. Le sois parfait peut être le roi des indécis, s’attardant sur tel détail, refusant de trancher sans telle information.
  • Rigidifier toutes formes de travail et d’interaction, qui est une autre forme de procrastination mais avec des effets pervers non seulement sur soi-même, mais sur les autres. C’est l’insatisfaction généralisée qui s’installe vis-à-vis du travail des autres, avec souvent une fâcheuse tendance à critiquer, à donner des leçons, ainsi qu’une réelle difficulté à déléguer les tâches mêmes les plus idiotes.

En résumé, on est devenu le chieur de service... Alors qu’on se tue au travail, au figuré voire au sens propre, et qu’on donne tout, tout le temps, pour être performant.

Alors que faire ? Ne plus être un sois parfait ?

Ah mais non, malheureux ! Vous êtes précieux·se en tant que sois parfait. Il faut juste apprendre à arrondir les angles. Ce n’est pas le driver en soi qu’il faut combattre, car c’est lui qui fait de nous un être à part, mais son influence sur nos comportements qui peut nous faire du mal. Il va donc falloir recalibrer toutes les injonctions qu’il véhicule en y ajoutant un peu de bienveillance à notre égard. De toutes manières, on n’efface pas un driver avec du blanco. On l’enjolive plutôt en ajoutant un petit cœur sur le i.

  • D’ailleurs qui t’a demandé un travail parfait ? D’où tu tiens que c’est ce qu’on attend de toi ?
  • Il y a deux fautes de frappe dans ta note de synthèse, mais le chef d’établissement était trop content que tu lui aies réexpliqué le principe des actes transmissibles. Est-ce que ce n’était pas ça finalement l’objectif ? Est-ce que tu peux te contenter de ces 99 % de performance ?
  • Tu n’as pas le temps de prendre en charge cette mission ? Et si tu t’autorisais à dire non, ou simplement plus tard ?

Et, c’est là la clé : autorisez-vous des trucs...

En fait quel que soit le ou les drivers dominants chez nous, il faut passer d’une force inhibitrice à une force motrice... une vraie. C’est-à-dire qu’il faut non pas se contraindre, mais au contraire s’autoriser : dans le cas du sois parfait, c’est essentiellement s’accorder le droit à l’erreur. Dans un environnement où le changement n’est plus une mutation d’états mais un état en soi, où l’instabilité organisationnelle nous oblige à des stratégies agiles, ce n’est pas une option : c’est le seul moyen de ne pas y laisser des plumes.

Autorisez-vous aussi la confiance, vis-à-vis de vous-même mais également vis-à-vis des autres. Et pour cela, réapprenez progressivement à déléguer. Vous avez la confiance de vos chefs en tant que sois parfait, mais vous avez peut-être dans votre équipe un autre sois-parfait. Alors pourquoi ne pas lui laisser une chance ? Une vraie chance néanmoins : vous avez certainement déjà entendu l’adage « la confiance n’exclut pas le contrôle », mais sachez que c’est une véritable ânerie, ou plutôt qu’on peut fort mal l’interpréter : il ne s’agit surtout pas d’avoir le contrôle, mais uniquement de pratiquer des contrôles, qui sont la contrepartie légère et ponctuelle du fait d’avoir refilé le boulot. Alors autorisez-vous à ne plus tout contrôler !

Un long, long chemin mais si magnifique à la fin... [3]

Tout le monde peut m’objecter à ce stade de la discussion que Rome ne s’est pas construite en un jour, et qu’il ne sera de même pour apprivoiser votre driver sois parfait. Mais évidemment ! Autorisez-vous aussi à prendre le temps ! Vous ne deviendrez pas le manager délégatif absolu du jour au lendemain, et ce n’est d’ailleurs pas ce que l’on vous demandera non plus. Parce qu’en fait, personne ne vous demandera rien à ce sujet. Il n’y a pas d’injonction à part celle, sans doute, de votre santé morale, mentale et physique. En outre, votre entourage professionnel ne comprendrait certainement pas un virage si radical qui pourrait être ressenti comme une mascarade, ou pire, un abandon.

Enfin, c’est comme dans un sport : les joueurs de rugby ont des gros mollets, les danseurs des muscles déliés. A moins d’avoir toujours pratiqué les deux sports, vous ne ferez pas faire un grand écart à un rugbyman et votre danseur ne fera pas le poids dans un maul. Alors entraînez-vous progressivement... Plantez-vous, et recommencez.

Et c’est à ce moment que je vous parle d’excellence

Mais à quoi bon ? Je ne dois pas être parfait·e, alors pourquoi être excellent·e ? Eh bien tout simplement parce que ce n’est pas du tout la même chose.

La perfection est un état fini, il n’y a rien après et rien avant même. La perfection relève du mythe et même parfois du mystique. C’est pour ça qu’elle est impossible à atteindre malgré vos efforts et toute l’énergie que vous déployez pour y arriver. La perfection, c’est bon pour les philosophes et les religieux. C’est finalement un idéal trop délirant pour en faire un mantra professionnel. Même en comptabilité !

De son côté l’excellence — dite opérationnelle — n’est pas un état, c’est juste un état d’esprit et ça, c’est quand même plus facile à vivre. Pour les amateurs de jeux de rôle, je parlerais de quête.

L’excellence c’est la meilleure réalisation possible de ces objectifs, en fonction des moyens dont on dispose : si mon service manque d’argent pour accomplir une tâche, si deux de mes agents sont en arrêt maladie, si à cause des jours fériés, je n’ai plus qu’une semaine en mai pour réaliser mon objectif, eh bien tout cela est pris en compte, dans ma recherche d’excellence. On ne roule pas de la même manière en Deuche ou en Porsche. Et pourtant je peux optimiser mon Paris-Nice avec les deux véhicules en fonction de ce qu’ils me permettent. Ça, c’est l’excellence. C’est une expérience que je vais piloter, et non un résultat que je vais subir.

Dans ma quête d’excellence, j’ai le droit (voire le devoir) de me planter, de reculer, de recommencer, de développer toutes les stratégies d’apprentissage nécessaires pour découvrir la meilleure façon d’arriver là où je souhaite aller. Et demain, si je recommençais ou si un autre que moi reprenait la quête, il chercherait sans doute sa propre route désertée où s’épanouir. Parce qu’il n’y a pas non plus de One best way, plus dans notre société. Désolée, Monsieur Taylor, mais tu t’es bien planté.

Conclusion en forme d’auto-éval

Alors, cher collègue sois parfait, est ce que je t’ai apporté un petit bol d’air frais ? Tant mieux. Et si maintenant je te disais qu’à la réunion de demain matin, prévue à 8 h 45, le chef d’établissement qui doit la diriger sera en retard ? En l’attendant...

  • Tu prépareras un café et tu papoteras avec la CPE ?
  • Tu auras plutôt envie de taper du pied et tu seras très contrarié.
  • Ce n’est pas grave car tu n’es pas sûr·e d’arriver à l’heure non plus.
  • Tu vas te planter devant la fenêtre en espérant que personne ne te remarque.
  • Tu te mets en colère contre ce manque de respect et d’organisation.

Tout dépend combien de temps tu passeras à l’attendre, en effet ; mais il se peut que tu passes par tous ces états d’esprit à la fois. Parce que ce que je viens de décrire là, ce sont les comportements stéréotypés des cinq drivers dont j’ai parlé : sois fort, dépêche-toi, fais plaisir, fais des efforts... et sois parfait.

Et d’ailleurs, sois parfait, où il était ?


La puce à l’oreille pour écrire cet article vient de Catherine Lançon, coach de cadres dirigeants du secteur public, qui a fait un témoignage sur le même thème dans le Club Cadre territorial.

Sinon, si vous sentez que c’est urgent pour vous de travailler sur vous-même à ce sujet, ne le faites pas seul·e. Parlez-en autour de vous. Et si vous êtes déjà sur la pente de l’épuisement, consultez votre médecin. Nous sommes là pour vous aider, eux savent vous soigner.


[1Après mûre réflexion, le comité de rédaction de l’IZ a choisi de ne pas mettre ce sois parfait en écriture épicène, considérant qu’il s’agit d’un concept de psycho, on ne parle pas directement de personnes.

[2Ce sont les états du Moi, selon Eric Berne.

[3The Road not taken de Robert Frost, qui m’accompagne depuis un demi-siècle. À vous maintenant...

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