Intro en forme de lancement de film fantastique
À tout ceux qui ont œuvré dans le privé et signé un nombre impressionnant de documents, sans se poser la question de leur autorité pour le faire, à tous les jeunes gestionnaires qui ont espéré pouvoir laisser leur empreinte sur quelques actes administratifs à ce poste : rappelez-vous la désagréable impression que laisse cet instant où l’on découvre que non, il ne faut pas signer ce document, car on n’a pas... la délégation.
À tous ces autres qui pensent que tel tableau issu d’un logiciel parfaitement verrouillé suffit à débloquer des fonds, et qui vont devoir la refaire car, a contrario, il n’est pas signé : rappelez-vous la brève mais puissante fureur que vous avez ressenti.
Bref, on connaissait l’universe, le metaverse, il y a aussi un paraverse... En voici les contours.
Règle n°1 : signer c’est endosser une responsabilité
Parce que nos écrits sont générateurs/inhibiteurs de droits
Rappelons-nous tout d’abord que presque toute production d’écrit dans l’administration, hormis les bordereaux d’envoi (et il existe des délégations de signature pour les bordereaux d’envoi dans certaines administrations !), constitue un acte administratif, a fortiori, ce qui est effectivement écrit sur un papier.
Produire un acte administratif, qui peut faire grief, engendre donc une responsabilité.
Ex. : si Madame Chombier vous demande une remise d’ordre à la cantine parce que le vendredi c’est poisson, et que son petit Théophraste risque de s’étouffer avec une arête, le courrier que vous lui adresserez pour lui dire que non, sa remise d’ordre, il ne l’aura pas, parce que l’ichthyophobie n’est pas reconnue comme un motif légitime par le règlement de la collectivité, votre réponse est un acte administratif. Elle fait grief à Madame Chombier en ne lui accordant pas un droit : celui de ne pas payer la cantine le vendredi. Quand bien même il s’agit de la décision réglementaire de la collectivité, c’est vous qui avez répondu à la question. C’est donc de votre responsabilité.
L’administration n’admet qu’un responsable par institution
Et c’est là où nos institutions sont merveilleuses, parce qu’au lieu de diluer des responsabilités au risque que plus personne ne soit responsable de rien, que les décisions les plus contradictoires entrainent l’usager dans un méandre administratif ubuesque digne de la Petite Dorrit, chaque collectivité pour les services décentralisés, chaque niveau institutionnel pour les services déconcentrés, n’admet qu’un seul et unique signataire : on l’appelle aussi l’organe exécutif.
- Au conseil dépional, le président
- Au niveau académique, le recteur
- Au niveau du département académique, le directeur académique
- Au niveau de l’EPLE, le chef d’établissement...
Et à cela se rajoute, une institution dans l’institution, à savoir l’agence comptable, avec le comptable assignataire qui comme son nom ne l’indique pas est bien également signataire.
Ce responsable doit être clairement identifié
Un tortillon à l’encre au bas d’une page et tout est terminé ? Non, certainement pas. Je sors l’artillerie lourde, le code civil, article 1357 :
La signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte.
Mal français (mais l’exemple ci-dessous vous prouvera que ce n’est pas que nous) : la signature du "boss" doit être illisible comme l’ordonnance du médecin. Dans les deux cas, il faut montrer qu’il s’agit de personnes fort occupées, et qui ont donc peu de temps à accorder à de viles parafes. Si les médecins (les plus vieux) ont l’excuse d’avoir pris tellement de notes pendant leurs études que leur écriture est déformée, le syndrome de l’homme pressé manque de crédibilité dans de nombreux cas. Néanmoins, c’est souvent ce qui nous empêche de pouvoir identifier un signataire rien qu’en lisant sa signature.
Si je vous montre cela, saurez vous identifier la personne qui a signé ? Si vous réussissez, c’est que vous êtes très fort ou très fan...
C’est aussi pour quoi, en écho au code civil, le code des relations entre le public et l’administration, article L212-1 précise ceci :
Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.
Ces points sont essentiels, et je parle d’expérience : jadis le Greta de l’IZ a perdu au tribunal administratif comme suite au recours d’un personnel qui avait reçu un courrier, signé certes, mais sans que ces trois mentions soient respectées. Pour le tribunal administratif, cela relève du vice de forme et il a donc donné raison à l’agent en question.
Petit aparté sur la qualité dont il est question : le grade d’une personne n’est pas une qualité de signataire. C’est un grade. C’est très bien de l’avoir obtenu et c’est très bien d’en être fier, mais cela ne justifiera jamais que vous puissiez ou non signer un document. Si l’utilisation exagérée du grade à la place de la fonction a presque disparu des courriers formels, elle reste encore trop fréquente dans les messages électroniques. Sur un document formel ou dans un mail, évitez donc attaché.e d’intendance et préférez-lui gestionnaire délégué.e. L’administrateur.rice hors classe peut impressionner mais c’est bien un ou une comptable assignataire qui signera.
Règle n°2 : une signature peut se déléguer
Une délégation particulière, une marque de confiance...
Avant d’aborder ce sujet plus abondamment, il est important de faire une petite halte juridique à nouveau. En effet, il existe deux formes de délégation dans les administrations :
- la délégation de compétences également appelée délégation de pouvoir
- la délégation de signature
La délégation de compétences est un transfert pur et simple de certaines compétences vers une autre entité ou personne. Ainsi, par exemple, l’État a délégué les deux compétences Formation professionnelle et apprentissage ainsi que Équipement et fonctionnement des lycées aux régions. De ce fait, et pour en revenir aux signatures, sur ces thématiques, les actes que nous pouvons recevoir dans les EPLE sont signés par le président du conseil régional et non pas par le ministre. D’ailleurs, son nom et sa qualité n’apparaissent plus du tout sur les actes relevant de cette compétence, car en la déléguant, il a perdu la compétence.
La délégation de signature est d’un ordre totalement différent. Elle vise uniquement à déléguer la responsabilité de la signature à un collaborateur. Le délégataire ne peut ainsi prendre aucune décision en son nom, le responsable de la décision reste et demeure le déléguant ou mandant.
Si la délégation de compétences est un acte permanent et définitif qui ne saurait dépendre des personnes, à l’inverse la délégation de signature est intuitu personnae. Cela signifie qu’elle dépend des personnes et de la relation qu’elles entretiennent. Si votre chef d’établissement actuel vous a délégué la signature des bons de commande de moins de 300 euros, ne vous avisez pas de les signer en septembre après l’arrivée d’un nouveau chef. Vous n’aurez en effet plus la délégation, car la personne a changé.
La délégation de signature ne peut pas non plus être tous azimuts à l’Éducation nationale, elle doit être prévue par les textes. Seuls certains documents relèvent d’une délégation et sont rattachés au domaine de compétences du délégataire. Ainsi, le secrétaire général pourra signer certains bons de commande, mais pas les ventilations de service qui seront certainement confiées à un chef d’établissement adjoint.
Dans les deux cas, rappelons-nous qu’il s’agit de soulager l’emploi du temps du chef d’établissement en signant en son nom, parfois d’assurer son intérim en cas d’empêchement, mais en aucun cas de transférer la responsabilité de la décision, qui restera la sienne. C’est bien cet acte de confiance qui motive toutes ces contraintes.
... qui nécessite un certain formalisme
Qui dit acte même de confiance, dit acte administratif aussi. La délégation de signature, ce n’est pas simplement recevoir un coup de téléphone du chef d’établissement qui dit « Je suis sur la route, je vais voir le DASEN, l’entreprise DECATCH va passer ce matin, c’est urgent, signe leur devis pour moi. »
Adieu donc la signature Pour Ordre, par la secrétaire de scolarité. Cette pratique n’est pas prévue par le code de l’Éducation et n’a pas ça place chez des fonctionnaires qui fonctionnent proprement ! N’oublions pas Mme Chombier et sa cantine du vendredi : ce qui peut sembler anodin peut avoir des conséquences lourdes, en termes de temps de travail, de finance, de responsabilité.
Il faut donc respecter une certain formalisme pour constituer une délégation de signature : pour nous un simple acte du chef d’établissement, dans Dém’Act, qui devra comme tous les autres actes, être publié et affiché... C’est souvent là que le bât blesse dans nos organisations.
Il faudra aussi respecter un certain formalisme pour utiliser cette délégation :
Pour la cheffe d’établissement et par délégation,
la secrétaire générale
Nathalie TOGRAFFI
Et oui, c’est aussi long que ça de signer pour le chef. Non, seulement vous devez également être identifié.é comme signataire de substitution, mais vous devez expliquer pourquoi vous le faites. Sinon, retour à la case TA.
Enfin, il faut savoir qu’une délégation de signature ne se délègue pas non plus. Ainsi, si le chef d’établissement veut déléguer à la secrétaire d’intendance sa signature sur les bons de commande de moins de trente euros... C’est lui qui devra le faire directement. Vous ne pouvez pas déléguer la signature à votre adjointe au prétexte que vous avez une délégation du chef à hauteur de 300 €.
Règle 3 : il existe un essentiel, il existe un conventionnel, il existe aussi beaucoup de superflu
Si les deux premières règles ont fait (presque) le tour de l’essentiel, nombre de questions qui pointent le bout de leur nez chaque jour en EPLE ne sont pas pour autant résolues. C’est donc sûrement qu’il s’agit de pratiques conventionnelles ou superflues. La règle n°3 va donc essayer de séparer le bon grain de l’ivraie en la matière.
La signature des courriels : conventionnelle
La démultiplication des échanges électroniques a rendu tous les agents de l’EPLE qui participent à ces échanges, signataires, alors même que le présent article vient d’expliquer qu’ils ne devaient et ne pouvaient pas l’être.
Effectivement, mais ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que la signature d’un courriel relève davantage de la simple forme de politesse, ce que les plus anciens appelleront la nétiquette. C’est bien une convention. Et l’IZ contient également un article expliquant comment paramétrer une signature à ses courriels.
Rappelez-vous que lorsque la secrétaire du cabinet de Monsieur le recteur vous envoie un courriel, elle le signe de son nom, mais qu’il est souvent accompagné d’un document administratif, relevant d’un acte, qui lui, est signé par Monsieur le recteur ou l’un de ses délégataires.
Il convient d’en faire de même. Si le sujet est en dehors de votre délégation de signature habituelle ou s’il dépasse le simple échange d’informations sans conséquence, préférez produire un document signé par le chef d’établissement (voire un courriel de sa part, que vous vous contenterez de transférer au destinataire) afin que le réel signataire soit bien l’organe exécutif de l’établissement.
La signature d’une restitution produite par un logiciel : conventionnelle mais souvent superflue
Je prends l’exemple des droits constatés sous GFE. Que le bordereau des droits constatés soit signé par le chef d’établissement n’est que pure convention, venue d’un autre temps. Sa signature sur le bordereau des ordres de recettes dans GFC ou son clic sigillaire sous Op@le avalisent nécessairement l’opération, le bordereau est une pièce justificative. Seing et contreseing par la même personne, c’est comme déclarer directement à votre chef de service :
Désolé chef, mais je ne suis pas sûr que votre lobe droit sache ce que fait votre lobe gauche.
Maintenant que tous les autres documents produits par GFE à des fins d’analyse soient signés, ce n’est plus de la convention d’arrière-garde. C’est tout simplement superflu. Il n’y a aucune valeur ajoutée dans ces documents, ni acte mis en exécution.
Le passage à Op@le aura également un avantage à ce niveau : nous montrer tout ce qui relève du superflu depuis longtemps. Je prends un exemple très célèbre : les comptables qui exigeaient (après s’être fait remonter les bretelles par le pôle d’apurement) que les établissements leur transmettent les feuillets produits par GFC pour le conseil d’administration en cas de DBM et que ces feuillets soient signés.
Avec Op@le, il n’y a plus de transmission d’aucun document. Dès lors qu’une DBM est exécutoire, elle est exécutée côté ordo et le comptable s’assoit sur ce nouveau budget pour effectuer ces contrôles, sans aucune paperasse ni signature.
Le cachet : superflu
Soyons extrêmement clair : le cachet ne sert plus à rien depuis plus d’un siècle et la création de... l’Éducation nationale qui a permis à tout-un-chacun d’écrire son nom. Pourtant, nous sommes encore friands dans notre cher ministère de cet anachronisme. Il ne faut pas se cacher que ce cachet n’est que la variation sur le même thème du scel à la cire de sa seigneurie illettrée dans son castel médiéval. On a donc l’air fin au XXIe siècle de l’exiger encore, sans compter que cela associe grossièrement nos chefs d’établissements éclairés à quelques nobliaux despotiques.
Si tant est que l’émetteur et le destinataire d’un écrit sont clairement explicités selon les principes de la loi DCRA, c’est-à-dire par leur prénom, nom et fonction, débarrassons-nous donc de cachets et encres à cacheter.
Mais s’il vous faut encore indiquer subtilement à votre chef d’établissement où apposer son paraphe, sur le courrier qu’il n’a pas voulu lire, effectivement continuez.
Juste pour le plaisir : je ne résiste pas à l’envie de partager une information qui a fait sensation, en 2020, sur la disparition programmée des hankos, les cachets japonais que chaque individu doit avoir (certains en ont même plusieurs selon la forme exigée). Un drame pour une nation qui est pétrie de traditions administratives éculées et qui pour faire survivre ces cachets absurdes, utilise encore massivement le téléfax. [1]